Le scandale de Cambridge Analytica , ou comment Facebook peut influencer le résultat d’une élection?

Jan 25, 2022

Cambridge Analytica est fondée en 2013 comme filiale du groupe SCL –canada[1], c’est une entreprise britannique de communication politique. En 2014 et 2016, Cambridge s’est engagée  dans une communauté de campagne politique dans l’USA  mais aussi dans le reste du monde. En 2016 , elle travaillait dans une communauté politique de Donald Trump ,aussi dans le Brexit , dans un mouvement pro Brexit [2].Elle a notamment une recette secrète , c’est le ciblage psychométrique .

C’est en 2018, ce scandale de siphonnage des données a été dévoilé par un des  anciens employés de  Cambridge , c’est Christopher Wylie [3].

L’affaire remonte en juin  2014 , les chercheurs de psychologie ont dévoilé une technique pour classer les personnes selon différents critères en se basant sur leurs profils Facebook et cette méthode intéressait beaucoup Cambridge qui a embauché un des professeurs de l’université en psychologie ,c’est le professeur Aleksander Kogan .Celui-ci va créer une application de quiz de personnalité, un questionnaire rémunéré de 4 dollars ; Lorsque l’utilisateur connecte par son  compte Facebook et répond au quiz , on récupère d’un côté les réponses de quiz , et d’un autre côté de nombreuses données Facebook de cet utilisateur et de ses amis .En effet, environ 300 milles personnes ont répondu au test . A l échelle de l’USA, cette technique de collecte de données a fait une ampleur aussi énorme puisque un américain a au moins 350 amis Facebook et tout de suite ça fait beaucoup de monde .Et de cette façon,  les données de 87 millions de comptes  ont été récupérées ,qui  représente 26%  de la population américaine.

Le truc qui a fait Aleksander n’était pas une fraude de cyber sécurité ; en fait tout ça était autorisé par Facebook en 2014 et d’ailleurs on peut imaginer que toute application utilisant Facebook  fonctionne avec le même principe : partager les données privées des utilisateurs sans même demander leurs autorisations.

Mais depuis que ce scandale à été dévoilé,  Facebook a modifié la manière dont les données sont partagées et il a révoqué les permissions  données aux applications.

En mai 2018, Cambridge a lancé une faillite et du coup, elle a été rachetée  par une autre société  dont le conseil d’administration est très ressemblant !! Ladite nouvelle a assuré que les données de Cambridge n’étaient  pas récupérées. Mais ce n’ est pas l’ avis de David Caroll , professeur agrégé de droit à l’université de New York  et l’un des lanceurs d’alertes ayant permis la réalisation du film  the Great Hack [4]qui a  précisé que la nouvelle société est un boucle médiatique pour Cambridge et scl.    IL affirme que cet investissement ne va de soi si ces données collectées ne seront pas  utilisé durant les multiples campagnes dont  lesquelles la société  s’est  engagée .

La question qui se pose maintenant : Est-ce que Cambridge a fait une influence dure sur les votes ? Et si oui, comment  les données collectées de  Facebook ont eu un intérêt pour eux ?

Pour répondre à cette question, il fallait  chercher la recette secrète utilisée par  Cambridge en matière d’inspiration de données, c’est  le ciblage psychométrique.

On pense souvent  que la manière de  gagner les élections,  c’est de convaincre  les gens de voter à nous  au lieu des autres candidats ; mais en fait , c’est  faux .

D’abord , il faut noter  que Facebook enregistre des milliard de choses que ses utilisateurs y font :     Les pages qu’ il likent ,les sites qu’ils consultent , les mots clés de leurs statuts , ce qu’ils mangent, leurs marques de voitures , les places qu’ils visitent , leurs accidents et maladies ..Etc.

Grace à cela, cette plateforme qui enregistre des données ultra précises  peut reconstituer de façon précise le profil des  électeurs, ce qui  rend  très facile de savoir si la personne a le cœur de droite ou de gauche.

Une fois que vous avez cette information, il suffit de croiser ces données avec les registres de votes pour savoir si telle ou telle personne a  tendance à s’abstenir. On peut  aussi avoir  la liste des gens qui aiment  bien  un candidat mais qui votent rarement. Mais  ça  ne suffit pas, il faut précisément  convaincre les gens à aller voter ; et Facebook va être très utile pour cela, ce n’est pas la peine de perdre du temps à frapper les portes.

 C’est ce qui a prouvé  le chercheur américain Paul Lazarsfeld[5]. En 1954 , Lazarsfeld a montré que convaincre les électeurs d’aller voter pour tel ou tel candidat ,  ce ne sont ni les médias ni les candidats en eux même , ce sont les proches des électeurs, leurs amis , leurs familles , leurs collègues de travail ; précisément le réseau de relations interpersonnelles du récepteur, ainsi que son champ social . Par exemple en 2012, lorsque quelqu’un rejoignait la campagne d’Obama par l’intermédiaire de Facebook , il fournissait du même coup la liste de ses amis .L’algorithme de la campagne analysait  cette liste et déterminait qui parmi eux , qui aimait bien Obama mais n’avait  pas l’intension d’aller voter .

Mais convaincre les gens de voter pour tel ou tel candidat n’est pas la seule façon de gagner des élections, on peut aussi convaincre les gens de ne pas aller voter pour d’autres candidats .Encore une fois, Facebook  peut aider à faire cela .Un  candidat peut payer la plateforme pour qu’elle diffuse des contenus desservant son adversaire. C est ce que Steve Bannon[6] a fait en 2016 pendant la présidentielle  américaine ; il a affirmé  avoir payé Facebook  pour diffuser une vidéo présentant Hillary Clinton sur un très mauvais jour.

Prenant l’exemple des spots publicitaires, si le fond reste le même, l’argumentation est très différente. Ces exemples qui ont le même message peut prendre des formes très différentes en fonction des personnes à qui s’adressent. Puis, Après avoir conçu les différents spots publicitaires pour les différents publics, Cambridge va les diffuser d’une manière ciblée sur Facebook  en se basant sur sa plateforme.

Du coup on accuse Facebook  d’avoir laissé faire et de ne pas  avoir suffisamment protégé  les données personnelles de ses utilisateurs. Plusieurs enquêtes judicaires indépendantes se sont déclenchées aussi bien aux Etats Unis qu’en Europe.

A cette époque,  le vrai  problème de Mark Zuckerberg n’était pas vraiment les appels de boycott ainsi que les 4 millions de dollars payés en tant qu’amende, mais c’est      la pression politique considérable qui s’est abattu sur les réseaux sociaux depuis que l’affaire a éclatée.

Dans un autre coin du monde, en Suisse, ces techniques sont déjà là, très discrètes mais de plus en plus efficaces .Quand Moutier votait à 55 %  OUI  pour son rattachement à Jura, ce sont les logiciels de ciblage psychométrique  qui œuvraient  en coulisse étant donné que les habitants des deux petites villes étaient privés de campagne électorale physique pour des raisons de sécurité.

En Tunisie, à l occasion des élections législatives et  présidentielles de 2019, un parti politique tunisien a alerté  l’instance nationale de protection des données  personnelles de  la présence d’une influence ciblée à travers  Facebook  par la technique d’inspiration de données. L’instance, après avoir faire les investigations nécessaires, a décidé de transmettre l’affaire au procureur de la république du tribunal de première instance de Tunis pour faire les poursuites nécessaires.

Les leçons de l affaire :

Un questionnaire rémunéré de 4 dollars : quel parti politique vous correspondent, républicain ou démocrate ….le résultat : 87 millions de personnes sont suivi par Cambridge Analytica .

Cela montre la limite de la collecte massive et non assurée des données  telle que la fait Facebook  puisque ces données peuvent être captées et détournées de leur  usage initial et peuvent mener des campagnes par  une influence ciblée, ce qui change certainement les résultats.

Cette affaire montre aux yeux de nombreux utilisateurs de facebook dont le monde notamment les américains et les britanniques, qu’il est devenu urgent de mieux contrôler et réglementer l’utilisation des données personnelles du Big Data pour le secteur privé, l’industrie et les parties politiques.

Mais d’un autre coté, et indépendamment de l’éthique,  faire appel  à ce genre d’entreprises  aide à une communication ciblée ce qui facilite aux décideurs de formater leurs messages.

Grâce à données récoltées de ces réseaux sociaux dans les statistiques ou les recherches Google ; on peut cerner très précisément les  envies de la population. Ainsi, sur la base des résultats d’analyses de données, les politiciens réussiront à transformer leurs messages.

C’est comme on écoute mieux les gens, on les parle mieux, on fait plus ce qu’ils veulent  et on se rend mieux compte de ce qu’ils font.

 Maitre Mahdi Louati , Avocat à la cour et Expert en droit numérique et protection des données personnelles .


[1] société de technologie numérique et de conseil en communication politique

[2] British exit ou retrait de royaume Uni de l’union européenne

[3] un lanceur d’alerte canadien et ancien directeur de recherche de Cambridge Analytica , il a transmis au journal  «  The Guardian »  les documents de Cambridge  qui prouvent l’usage des données personnelles volés des  comptes Facebook

[4] c’est un film documentaire produit et réalisé par Jehane Noujaim et Karim Amer qui analyse le scandale Facebook Cambridge Analytica et l’influence des données siphonnées de Facebook par la dite société sur les élections présidentielle américaine en 2016 et le Brexit

[5] Un sociologue américain connu pour l’importance de ses travaux sur les effets des médias sur la société, pour l’utilisation des techniques d’enquêtes pour la collecte d’information et sa contribution au développement de la sociologie électorale.

[6] Membre de conseil d’administration de Cambridge et chef exécutif de la campagne électorale de Donald Trump